@INRAE  2017-0099 Bassin d'élevage de poisson en mer
Publication Ecology and Evolution

Le bar, un poisson dont le sexe dépend de la température…dans un sens et dans l’autre

Contrairement aux mammifères et aux oiseaux chez lesquels le sexe est déterminé à la conception par des chromosomes sexuels (X et Y étant les plus connus), il est fréquent chez les poissons et les reptiles qu’il soit déterminé, au moins en partie, par la température de l’eau à une période clé du développement. C’est le cas chez le bar, mais, de façon surprenante, la même température peut donner des mâles ou des femelles selon le moment du développement où elle est appliquée. C’est ce que montre une étude conjointe entre l’unité Génétique Animale et Biologie Intégrative (GABI, INRAE, AgroParisTech, Université Paris-Saclay) et le laboratoire MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation (MARBEC, IRD, Ifremer, Université de Montpellier, CNRS), parue le 4 novembre 2020 dans la revue Ecology and Evolution.

Le sexe de nombreuses espèces de poissons ou de reptiles est déterminé par la température à laquelle l’organisme est exposé en début de vie, ce qui permet une adaptation des populations aux conditions environnementales, quand celles-ci donnent un avantage reproductif à l'un ou l'autre sexe. Cet effet de la température se produit pendant une période bien déterminée (pendant l'incubation chez les reptiles, et pendant les jeunes stades, après éclosion, chez les poissons). Dans les populations naturelles de bar, le sex-ratio est en moyenne équilibré (autant de mâles que de femelles), avec cependant des variations liées aux  conditions climatiques  annuelles. En élevage, le sex-ratio est souvent très biaisé vers le sexe mâle (de 75 à 95%), alors que l sexe femelle est le plus intéressant, du fait d’une croissance plus rapide et d’une puberté plus tardive. Les éleveurs et les chercheurs se sont donc interrogés sur les origines de ces différences déséquilibres.

Le sexe : un mélange complexe de contrôle génétique et d’effet de de la température

Des études antérieures ont pu montrer que le sexe du bar était déterminé à la fois par des facteurs génétiques (pas de chromosomes X ou Y, mais une « tendance sexuelle » mâle ou femelle liée à l’effet combiné de nombreux gènes) et par la température de l’eau pendant les premiers mois de vie. Il subsistait néanmoins une controverse sur cet effet de la température : alors qu’une majorité d’études montraient un effet féminisant des basses températures, quelques autres montraient un effet inverse (effet masculinisant des basses températures). De plus, il semblait contre intuitif que les femelles, qui grandissent plus vite que les mâles, soient favorisées par des températures basses, qui justement ralentissent la croissance des animaux à sang froid comme les poissons.

Une hypothèse évolutive pour expliquer l’effet de la température

"C’est cette contradiction qui nous a permis d’émettre une hypothèse originale", explique Marc Vandeputte, de l’unité GABI à INRAE. « L’idée était qu’une température froide au début du développement (en fin d’hiver) pouvait être indicatrice d’une ponte précoc, et donc d’une saison de croissance à venir plus longue, et, en conséquence,  le signal d’un potentiel plus important de croissance pendant la première année de vie ». Le contre point logique était alors d’imaginer qu’une température basse sur des phases plus tardives (mais néanmoins avant que le sexe ne soit complètement déterminé), en réduisant durablement la croissance possible sur la saison à venir, devait favoriser le sexe mâle.  Pour tester cette hypothèse, les équipes d’INRAE et de l’Ifremer ont élevé des bars à basse température (16°C) pendant des périodes allant de 11 à 240 jours à partir de la fécondation, avant de les transférer à une température plus clémente de 21°C. Les chercheurs ont ainsi d'abord confirmé l'hypothèse généralement admise qu'une température basse (<17°C) dans les 56 premiers jours de vie oriente préférentiellement les jeunes bars vers le sexe femelle. Par contre, au-delà de 56 jours, cette même température basse a eu un effet inverse, orientant les animaux vers le sexe mâle, pour atteindre jusqu'à plus de 90% de mâles après 230 jours à 16°C.

Un cas unique à ce jour dans le règne animal

Il s'agit de la première observation d'effets opposés de la température sur le déterminisme du sexe à différents moments du développement, montrant une complexité inédite des effets de la température sur ce déterminisme. Ces résultats ouvrent des perspectives nouvellespour la compréhension de l'évolution des systèmes de déterminisme du sexe, des effets du changement climatique sur les populations naturelles et pour la maîtrise des pratiques d’élevage aquacole. "Dans cette controverse ‘froid=mâle’ contre ‘froid=femelle’, les deux camps avaient raison", s’amuse Marc Vandeputte, "c’était juste une question de timing". 

Contact scientifique

  • Marc Vandeputte, Génétique en Aquaculture, Génétique Animale et Biologie Intégrative (GABI)

Départements INRAE : GA, PHASE

Mots-clés : déterminisme du sexe, aquaculture, température

Voir aussi

Publication : Vandeputte M., Clota F., Sadoul B., Blanc M.O., Blondeau-Bidet E., Bégout M.L., Cousin X., Geffroy B., 2020. Low temperature has opposite effects on sex determination in a marine fish at the larval/post-larval and juvenile stages. Ecology and Evolution (Early view). https://doi.org/10.1002/ece3.6972